Article DNA du samedi 26
Article DNA du samedi 26 octobre 2019 : Agriculture | Portrait Thierry Schweitzer, paysan et charcutier engagé Devenu éleveur de porcs par obligation, Thierry Schweitzer est aujourd’hui à la tête d’un groupe qui gère production et transformation et se frotte désormais à la distribution. Sans jamais sacrifier à ses valeurs emblématiques : bien-être animal, sécurité alimentaire et responsabilité sociétale. Pour Thierry Schweitzer, « le cahier des charges est simple, vous faites pour vos enfants ». Photo DNA /Jean-Christophe DORN Thierry Schweitzer ne se reconnaît pas beaucoup dans le terme d’entrepreneur. « Paysan charcutier », à la limite. Voire simplement « fabricant de saucisse ». Une manière de dire, comme il aime à le répéter souvent, qu’il n’a « pas inventé l’eau tiède ». Pourtant ce souriant quinquagénaire n’aime rien autant qu’entreprendre – lui dira « créer » : c’est plus humble, plus simple, plus lui. Pourtant depuis qu’il a repris au milieu des années 90 l’élevage de porcs familial de Schleithal, à côté de Wissembourg, l’homme n’a eu de cesse de conduire des projets, de réinventer des procédés, de bousculer l’ordre établi et de prendre des risques, quitte à prendre des coups. Hurluberlu tenace « La profession ne lui a fait aucun cadeau », se souvient Anne Vonesch, vice-présidente d’Alsace Nature et militante pour le bien-être animal, avec laquelle Thierry Schweitzer a travaillé en 1997 à l’avènement d’un élevage alternatif. Pas d’OGM, pas de farines animales ni d’antibiotiques, des cochons élevés en liberté sur paille et indemnes des mutilations qui sont monnaie courante en élevage intensif : la démarche est pionnière. Elle vaut à Thierry Schweitzer d’être régulièrement cité en exemple lorsqu’il est question de bien-être animal, et lui permet au passage de s’accommoder d’une profession dont il n’a jamais vraiment voulu. « On me disait tu seras paysan mon fils, et je n’osais pas dire non », résume celui qui confie avoir longtemps éprouvé une certaine honte à être « villageois, fils de paysan et a fortiori fils d’éleveur de porcs ». Il reprendra la ferme, mais non sans l’avoir réinventée – avec son frère Clément, aujourd’hui aux commandes d’un élevage bio de 250 mères et de 100 hectares de céréales. Et adjoindra, au fil des années, fac de philo puis études de droit à son parcours tracé d’ingénieur agronome. « J’avais besoin de défendre des choses et d’apprendre », commente-t-il aujourd’hui. D’aucuns le prennent alors pour un hurluberlu, mais l’éleveur parvient peu à peu à convaincre. Quelques confrères qui se plient à son exigeant cahier des charges, des grossistes, puis, à force de speechs aux rayons boucherie des hypermarchés, les grandes enseignes qui distribuent sa viande et la charcuterie qu’il sous-traite alors à un artisan à côté de la Petite-Pierre. « Il a construit quelque chose de tout à fait exceptionnel en termes d’ampleur et de cohérence », commente Anne Vonesch. « Je perdais de l’argent tous les jours » Thierry Schweitzer aurait pu en rester là. En 2006, il choisit d’intégrer la transformation et de devenir lui-même charcutier en reprenant à la barre du tribunal les établissements Balzinger à Barr. L’éleveur est mû par le désir simple de faire des bons produits. Mais l’opération est périlleuse. « Je perdais de l’argent tous les jours, je passais des nuits sans dormir : ça a été une expérience violente, sûrement formatrice, que je ne souhaite à personne. » Au final, sa ténacité profitera à l’entreprise, non sans avoir heurté sa vie personnelle. Qu’à cela ne tienne ! Il réitère dix ans plus tard avec la reprise à Obernai de l’entreprise Sobovia – et ses 70 salariés – qui lui vaut là encore quelques insomnies. « C’était le choc des cultures, se souvient le chef d’entreprise. Il y avait les Schweitzer d’un côté, les Sobovia de l’autre. » Les seconds vivront une petite révolution avec la transformation de l’entreprise qui passe notamment par un repositionnement sur le porc, la restauration à domicile et la vente directe. Thierry Schweitzer dénonce même certains marchés avec des collectivités, mais se rapproche de l’Alsacienne de restauration. Les gros volumes importent peu à l’entrepreneur, au regard de la qualité qu’il exige pour ses produits. Un pied dans les légumes Dans le même temps les points de vente directs, gages d’indépendance, se multiplient en marge des débouchés de la grande distribution. A celui, historique, de Barr, s’ajoute en 2012 une boucherie à Wissembourg où Thierry Schweitzer s’associe à des producteurs locaux qui y distribuent leurs produits, puis en 2013 la ferme Rothgerber de Traenheim. L’année de la reprise de Sobovia, l’entrepreneur franchit encore une étape en ouvrant à Haguenau un marché de produits frais et d’épicerie. Fusionné avec le magasin bio La Cigale il y a un an, l’enseigne désormais baptisée « La cigale et la fourmi – Thierry Schweitzer », distribue produits bios et locaux. « C’est une manière d’avoir un peu d’autonomie dans la vente, d’anticiper la chute de consommation de viande et d’avoir un pied dans les légumes », explique ce père de six enfants remarié à une artiste peintre, convaincu de la nécessité de transformer nos modes de consommation. « On ne peut pas reproduire notre façon de vivre à l’échelle planétaire, ce sont des maths élémentaires », martèle-t-il. Même stratégie à Mittelhausbergen, où le groupe a repris fin 2018 le « marché frais de Stéphane Biot » pour y ouvrir un supermarché bio. Sa fierté : la cuisine et boulangerie bio créées de toutes pièces. Cette dernière devrait à terme être approvisionnée par la farine de la ferme de Schleithal. La boucle est bouclée. Et la vision de Thierry Schweitzer devrait encore prendre de l’ampleur s’il parvient, comme il l’espère, à monter à proximité du magasin une serre de 50 ares et un maraîchage bio sur 5 hectares. A terme, ce résident de Soultz-sous-Forêts et Paris aimerait aussi créer une fondation destinée à aider les jeunes à monter des projets dans le monde agricole. Il réfléchit également à une prise de participation par ses salariés. Mais n’allez pas lui parler de RSE : c’est le genre de terminologie qu’il abhorre, au moins autant que les labels, auxquels il préfère la simplicité du « bon sens ». « Le cahier des charges est simple, vous faites pour vos enfants », a-t-il par exemple l’habitude de répéter à ses équipes de R & D. La recette du paysan charcutier plusieurs fois primé vaut au groupe de 130 salariés qui porte son nom de peser aujourd’hui une vingtaine de millions d’euros de chiffre d’affaires et d’avoir été sélectionné par l’accélérateur de PME initié par la région et BpiFrance. Vous avez dit entrepreneur ?